L’Education Prénatale : prévention fondamentale de la violence

Au Séminaire « La violence et l’enfant dans le monde contemporain »

Mosquée Adda’wa – 75019 Paris

par Marie-Andrée Bertin, enseignante, formatrice en éducation prénatale.

Il ressort des interventions précédentes et de toutes les études réalisées jusqu’ici que la violence est une expression déviée des forces de la vie.

Les puissances de la vie sont présentes en l’être humain dès le big-bang de la conception, dès  la fusion des deux gamètes, des deux cellules sexuelles de l’homme et de la femme qui s’unissent.

Ce big-bang à l’instar de la fusion atomique, libère des forces formidables qui vont se déployer tout au long de la vie, avec un maximum d’intensité au cours de la gestation.

A partir d’une cellule elles vont en produire des milliards, fabriquer des organes compliqués, élaborer des fonctions complexes selon un plan d’une intelligence telle qu’il nous laisse éperdus d’admiration.

Parallèlement, des perceptions sensorielles et émotionnelles vont évoluer en sentiments et en pensées, essences mêmes de la conscience humaine.

Ces forces de vie comportent par nature une forme d’agressivité fondamentale indispensable à la conservation de la vie elle-même, à son expression, à la réalisation de la personne et à sa propre créativité.

L’agressivité étant comprise ici, dans son sens originel : la racine « agrediore » signifiant oser, entreprendre.

Cette combativité innée est l’énergie utilisée pour subsister, agir, avancer, se surpasser, créer… ou pour détruire. Car cette énergie, comme toutes les énergies, circule entre deux pôles et peut prendre deux directions opposées.

Bien incarnée, bien orientée et bien maîtrisée, elle dynamise la capacité à s’affirmer calmement, à poser des demandes, à exprimer ses sentiments, à soutenir son point de vue – même minoritaire – à protester contre l’injustice, à défendre son droit, à dire non quand c’est nécessaire.

Ceci constitue le pôle positif d’une énergie vitale, physique et psychologique innée, lorsqu’elle est nourrie, canalisée et orientée dans le sens constructif.

Mais si cette énergie est niée, empêchée, heurtée par des évènements dramatiques, traumatisants ou des conditions familiales, éducatives et sociales défavorables, elle peut devenir destructrice.

La destructivité est l’énergie qui s’accumule à l’intérieur d’un individu quand il subit des violences répétées. Stockée sous forme de tensions corporelles et psychiques elle génère un désir de se venger, de retourner sa situation de victime en devenant l’agresseur (c’est la loi du talion – œil pour œil, dent pour dent – qui tient plus du réflexe que de la réflexion).

Lorsque la tension arrive à un certain seuil, c’est l’explosion de violence, le besoin pathologique d’agresser l’autre.

La violence n’est pas innée. Si un être humain devient violent, c’est qu’il a accumulé des carences, des coups et des blessures sans jamais être reconnu dans sa souffrance, c’est qu’il n’a pas eu la possibilité de se construire dans l’amour et la confiance, de s’exprimer, de créer.

Sauf cas exceptionnels, il est possible d’aider l’être devenu violent à retrouver son identité profonde, à reprendre confiance en lui, dans la vie.

Mais ce travail est long, aléatoire et coûteux et aujourd’hui, le problème a pris des proportions considérables.

On sait qu’en matière de santé physique « mieux vaut prévenir que guérir ». Pour la santé psychique, il en est de même.

La psychologie des profondeurs a montré que l’éducation du jeune enfant le structure pour toute sa vie, sauf si, plus tard une prise de conscience et un travail sur soi n’effectuent une refonte de ses premières bases. N’a-t-on pas affirmé « tout se joue avant 6 ans » ? C’est sans doute trop radical. (Laissez-moi croire que je puis m’éduquer encore un peu…) ce slogan avait le mérite d’attirer l’attention sur l’importance du vécu de la petite enfance.

Or les recherches scientifiques et psychologiques de ces deux dernières décennies montrent que ce qui était admis pour la petite enfance est encore plus vrai avant la naissance.

Ces travaux montrent que c’est pendant la période prénatale que l’être humain construit les toutes premières bases de sa santé, de son affectivité, de ses capacités relationnelles (de sa capacité d’aimer), de ses facultés cognitives (de son intelligence) voire de sa créativité.

En effet, lorsque ces études sont rassemblées, elles font émerger la réalité d’une éducation prénatale fondamentale.

Mais attention ! Il faut bien distinguer l’éducation de l’instruction.

L’instruction est la transmission de savoirs et de savoir-faire. Elle utilise des méthodes d’apprentissage.

Or, il n’y a rien à apprendre au fœtus : tenter de le faire serait arbitraire et dangereux. Ce serait faire intrusion dans le processus de formation et risquer de le perturber. Ce serait déjà faire violence à l’enfant.

C’est ce qui se produit avec ces cassettes que certains psychologues américains ont commercialisées auprès des femmes enceintes invitées à les porter sur leur ventre. Sur ces cassettes sont enregistrés des bruits, des sons pour stimuler le fœtus dans le but de faire de lui un enfant performant.

Or, des centaines de milliers d’enfants qui ont reçu ces « stimulations » tant en Chine qu’aux Etats-Unis se sont révélés être hyperactifs dès la naissance et présentaient des difficultés digestives et nerveuses et en particulier, des troubles du sommeil.

Avons-nous le droit de jouer aux apprentis sorciers aux sources mêmes de la vie ? Avec des conséquences définitives sur la structure de l’être qui se forme ?

L’éducation a un tout autre but : elle concerne le développement des potentialités de l’être humain et son adaptation au monde. Elle s’opère par trois processus essentiels : l’imprégnation, l’imitation/identification et l’expérimentation.

En période prénatale, l’imprégnation est maximale : elle est cellulaire comme nous le verrons tout à l’heure. L’enfant in utero s’imprègne de tout ce que vit sa mère.

Si les futurs parents sont informés que leur enfant s’éduque en même temps qu’il se forme, ils ont alors la possibilité d’éviter qu’il ne reçoive des violences et de lui donner les meilleurs éléments et les meilleures conditions pour qu’il développe au mieux, au sein du processus naturel et selon la dynamique propre toutes les potentialités incluses dans son capital génétique.

Ils ont alors la liberté – car il n’y a pas de liberté sans information – de créer avec lui le lien qui est le leur, selon leur propre nature et leur propre culture.

Leur est-il donc possible, dès la période prénatale de prévenir la violence chez leur enfant ?

La question se pose car devant les violences reçues, l’être humain, quel que soit son âge, réagit de trois façons différentes (avec une multitude de nuances et de combinaisons possibles entre elles).

1/ il devient lui-même violent.

2/ il s’auto dévalorise, se tait, se terre. Soit il s’aigrit et devient un tyran domestique, soit il démissionne, devient inexistant ce qui est catastrophique pour lui-même et sa famille.

3/ enfin, il est des êtres humains qui, même violentés par la vie, ne deviennent jamais violents. Ce sont les résilients dont parle Boris Cyrulnik.

Ces êtres-là utilisent leurs difficultés, leurs malheurs, les injustices et les brimades qu’ils peuvent supporter pour transformer leur souffrance en une meilleure connaissance de la situation et de la nature humaine. Ils partagent leur compréhension avec les autres et agissent avec eux pour améliorer les choses.

Les résilients sont des huîtres perlières qui savent transformer le grain de sable qui les blesse en une perle chatoyante et précieuse.

D’où leur vient cette capacité ? du fait qu’ils ont pu – affirme toujours Boris Cyrulnik – se construire dans leur toute petite enfance dans l’amour, le respect, la confiance.

Amour, respect, confiance les ont imprégnés au point de faire partie de leur structure et de se manifester dans leur vie, quelles que soient les conditions extérieures.

Or, c’est dès la période prénatale que l’être construit ses toutes premières bases.

Il perçoit tout, il ressent tout sur le mode sensoriel et il engramme toutes ces informations dans sa mémoire subconsciente, dans sa mémoire cellulaire car chaque cellule s’informe en même temps qu’elle se forme.

L’enfant in utero n’a pas la possibilité de faire un tri entre ce qui lui est profitable, bénéfique et ce qui est nocif pour lui.

C’est à la future mère de faire ce choix, avec la complicité du père, l’aide de leur entourage et des professionnels qui les accompagnent et le soutien de la société tout entière.

Sur le plan physique, l’enfant construit son corps avec des matériaux apportés par le sang de sa mère. A elle donc de proscrire les substances nuisibles : alcool, tabac et autres drogues… et de privilégier les aliments vivants et vitalisants : fruits, légumes, céréales, sans oublier les poissons des mers froides dont les acides gras sont si précieux pour la construction du cerveau du bébé humain.

A elle aussi de bien oxygéner son sang par une respiration aussi importante que la nutrition.

Au niveau des cinq sens, ces antennes qui nous relient au monde et alimentent nos activités intellectuelles, des choix aussi sont à faire. Les capacités sensorielles du fœtus sont dynamisées, les organes des sens renforcés, leurs fonctions affinées par des stimulations correspondantes – notamment tactiles et auditives – qui viennent de la mère et, à travers elle, du père et de l’environnement.

Que la mère se mette à l’écoute du bébé : il sait très bien faire savoir ce qui lui convient et ce qui le dérange.

Là encore, n’usant d’aucun artifice, lui offrir le meilleur en enrichissant sa propre vie, en se nourrissant soi-même de la beauté des sons, des formes, des couleurs, des œuvres artistiques et de la nature où tout chante, où tout vibre.

Sur le plan affectif, l’enfant partage  les émotions de sa mère.

Nous savons depuis plusieurs décennies qu’elles lui sont communiquées par les hormones de stress ou de détente, de peur ou de confiance, de joie et de bonheur. Ces hormones créent chez l’enfant des états psychologiques correspondant aux émotions maternelles. Si ces états se répètent souvent, ils créent des dispositions de caractère.

La future mère devra donc éviter les conversations, les lectures, les musiques, les spectacles violents ou déprimants.

Si elle ressent des peurs, des doutes, des ambivalences, qu’elle sache qu’ils sont normaux. Qu’elle n’en éprouve aucune culpabilité. Qu’elle sache les accepter et lâcher prise – des techniques comme le yoga, la sophrologie, le chant prénatal… peuvent l’y aider – puis, qu’elle recherche tout ce qui lui rendra sa joie de vivre et la certitude enthousiasmante d’être, avec la nature, co-créatrice de son enfant.

Mais la vie d’aujourd’hui apporte souvent au couple, à la mère, des difficultés, des occasions de colère, de révolte. Maladies ou chagrins peuvent affecter la mère. L’enfant le ressentira-til ?

Oui, on ne peut l’éviter. Mais la mère doit savoir qu’elle possède ce que Thomas Verny, psychiatre canadien, appelle « un bouclier protecteur » pour son enfant, c’est celui de son amour. Qu’elle lui explique ce qui se passe, comme le recommande Françoise Dolto. Qu’elle le rassure. Cet effort courageux sera bon pour elle et l’enfant enregistrera que la vie a des coups durs, mais qu’on peut les surmonter. Les bases d’un caractère fort seront dès lors posées en lui. Il sera ainsi, dès la période prénatale, doté des fondements de cette capacité de résilience dont nous avons parlé tout à l’heure et qui permet de se reconstruire après un choc déstabilisant.

Le rôle du père est aussi très important. Il peut communiquer avec l’enfant par la voix et le toucher, surtout lui donner joie et confiance à travers une vie heureuse et en sécurité.

Un proverbe chinois dit que si la mère porte l’enfant, il appartient au père de porter la mère et l’enfant.

Un adage occidental dit que si le père ne porte pas l’enfant dans son corps, il peut le porter dans son cœur et dans ses pensées. L’enfant se sentira aimé, attendu, reconnu.

Et les pensées de la mère influencent-elles aussi l’enfant ?

Oui, affirment Marie-Claire Busnel et son équipe de l’Université Paris V. Après avoir étudié en laboratoire et depuis de nombreuses années l’audition fœtale, ces chercheurs ont constaté que « le fœtus réagit aussi bien à la pensée de la mère qu’à sa parole ». Non pas s’il s’agit d’un futile bavardage intérieur mais si cette pensée a une certaine densité, un sens et une présence réels.

Par quels agents sont transmises les pensées, les images mentales de la mère ?

Par l’eau, répond le chercheur japonais Masaru EMOTO qui a étudié la plasticité de cet élément indispensable à la vie.

A partir de travaux menés à Berkeley par le biochimiste Lee LORENZEN sur la résistance magnétique de l’eau, Masaru EMOTO a soumis des échantillons d’eau à des influences diverses : musiques structurées ou déstructurées, sentiments d’amour ou de haine, pensées de mort ou de vie, prière… Ces eaux ont été gelées puis leurs cristaux – entre -5° et 0° – ont été photographiés sous microscope électronique. Les clichés obtenus sont époustouflants. Les clichés reflètent la splendeur ou l’horreur dont ces eaux ont été imprégnées.

Or le corps humain est composé de plus de 70% d’eau. Ce phénomène expliquerait-t-il l’efficacité du travail sur soi ? L’influence de notre pensée sur nos cellules, sur notre matière ?

Quant à l’œuf humain fertilisé, il est constitué de 90% d’eau. Est-ce cette eau biologique qui capterait et enregistrerait cette toute première information : la qualité de l’amour des parents au moment de la conception ?

Et ce processus d’imprégnation se poursuivrait tout au long de la grossesse, le fœtus s’alimentant au sang de la mère et baignant dans le liquide amniotique ?

Ainsi s’appliquerait l’impact de la vie intérieure de la mère sur le psychisme, mais aussi sur l’organisme de l’être qui se forme en elle.

Voilà qui l’invite à transmettre à l’enfant le meilleur d’elle-même et à utiliser la puissance de son imagination créatrice pour faire cadeau à son enfant des plus belles images qui soient et le sensibiliser aux plus belles qualités humaines.

Et voilà que la génétique nous conduit, en fin de parcours, dans le noyau de la cellule.

Au 4e Congrès Mondial sur l’Education Prénatale qui a eu lieu à Caracas, en avril 2001, le biologiste cellulaire américain Bruce LIPTON a rapporté des travaux récents qui contredisent le déterminisme génétique communément admis.

Ces études montrent (je le cite) que « l’activation des programmes des gènes est contrôlée par l’ambiance du milieu.

Plus exactement, par la perception que l’organisme a de cette ambiance*, **.

Les émotions maternelles telles que la peur ou la colère ou au contraire l’amour ou l’espérance influencent biochimiquement la sélection et la réécriture du code génétique de l’enfant in utero avec des conséquences évolutives très profondes sur les générations futures.

Les futurs parents sont de véritables « ingénieurs génétiques ». Il est urgent qu’ils en soient informés.

Informer les futurs parents, oui, mais avec précaution afin qu’ils ne soient pas dépassés, qu’ils ne culpabilisent pas, qu’ils ne nourrissent pas l’illusion de devenir des parents parfaits d’un enfant parfait. Cela n’entraînerait que désillusions, problèmes, conflits.

Ne dire aux futurs parents que ce qu’ils peuvent accepter et mettre en œuvre, ce qui les valorise en leur laissant leur spontanéité.

C’est pourquoi, il est bien préférable d’informer l’ensemble des jeunes, bien avant qu’ils ne soient en attente d’enfant.

Il faut aussi informer les accompagnants des femmes enceintes, des couples, informer les éducateurs qui ont à transmettre, les décideurs sociaux, qui ont des mesures à prendre, et la population tout entière car une prise de conscience collective est nécessaire pour faire avancer les choses.

Pour conclure, nous pouvons dire que l’éducation prénatale naturelle, positivée par les parents participe à la genèse de la santé physique et psychique de l’être qui se forme.

En cela, elle est la prévention la plus fondamentale de la violence et de bien d’autres dysfonctionnements.

Et l’on peut espérer que des êtres ainsi gestés, mis au monde et élevés dans l’amour et le respect, soient capables de construire un monde plus juste, plus humain, plus fraternel où chacun puisse prendre place et s’épanouir au service de tous.

*Jacques GLOWINSKI, neuropharmacologue au Collège de France :

« Une information peut susciter l’expression de certains gènes qui produisent des protéines intervenant dans la construction du système. »

Certains phénomènes sont irréversibles. Il y a toujours un lien entre l’extérieur et l’intérieur.

** David BÖHM, biophysicien de l’Académie Royale d’Angleterre disait déjà il y a 30 ans :

« La transformation de la conscience peut transformer le cerveau car on ne peut séparer la matière de la conscience. »